Lecture de Le capitalisme total
Un peu plus de 90 pages et l’on en a fini du capitalisme financier. C’est une bonne chose. Peyrelevade, en bon pédagogue, explique aux petits porteurs que nous ne sommes pas le poids du capitalisme financier et les raisons pour lesquelles ce dernier a triomphé d’un capitalisme plus modeste, national et limité, autrefois vanté sous le terme de "capitalisme rhénan" par Michel Albert.
A l’époque de ce fameux "capitalisme rhénan", on ne savait pas encore, quand on travaillait à la chaîne, que les capitalistes de tous les pays allaient se donner la main, et pas n’importe laquelle : la main invisible du marché, bien sûr, afin de transformer les structures des entreprises. Ce fut l’adieu au capitalisme de l’entrepreneur, aux dynasties familiales, et le début de la virtualisation de l’actionnariat. Jean Peyrelevade nous l’explique à sa manière, en partie chronologique. Il montre bien à quel point les fonds d’investissement américains ont rapidement usé et abusé de leurs nouvelles prérogatives en poussant les responsables des firmes à ne voir que la haute rentabilité à court terme. Destructeur d’emplois locaux, ce capitalisme désincarné investit tous les marchés dits "en croissance", en particulier en Asie du Sud-Est, tout en concentrant la richesse dans les mains de certains, une minorité d’actionnaires américains, européens, japonais.
"Actionnaires de tous les pays"... Destructeur des industries anciennes, et des structures d’intermédiation d’autrefois (les banques mais aussi les investisseurs institutionnels), ce nouveau capitalisme s’impose comme une arme de guerre beaucoup plus rapide que toutes les formes passées de capitalisme. Ni les Etats ni les sociétés civiles ne savent répondre à la menace, car l’illusion est maintenue de la participation de tous (ceux qui en ont les moyens) à l’actionnariat et aux fonds de pension. Bien entendu, le petit actionnaire n’existe pas : au mieux, il brade à court terme ses actions et se satisfait d’une maigre pitance, vantée par les médias sous la forme d’actionnariat "populaire" (voyez ce qu’il advint de l’action EDF en deux jours...). Mais le petit actionnaire n’est qu’un cocu parmi d’autres : il n’a en rien sa place dans les conseils d’administrations. Son seul poids et sa seule satisfaction consistent dans sa capacité à revendre au mieux et au plus vite son portefeuille afin de laisser la place aux gestionnaires, ceux-là concentrant l’ensemble de la richesse et des capacités de décision des firmes.
Car les donneurs d’ordres d’aujourd’hui (fonds de pensions, banques d’affaires, compagnies d’assurances) ne se contentent pas de vérifier les décisions prises par les PDG. Ils les obligent, au contraire, à en prendre, afin d’assurer à court terme des rendements forts, au risque de déstructurer des pans entiers d’une économie qui aurait mieux à faire en étant souvent mieux protégée. Le capital financier se voit doté d’un rendement (15%) qui le mène à une inflation constante en bourse, et donc, à une diminution obligatoire des revenus du capital "travail". Pire : on court après la réduction constante du capital "travail" pour mieux rentabiliser le capital financier. Mais jusqu’où ira-t-on ?
Peyrelevade dresse le panorama de ce nouveau capitalisme total et nous impose une prise de conscience évidente : si les actionnaires ne sont plus identifiables, s’ils sont "dilués" dans le mythe de l’actionnariat populaire, ce n’est finalement qu’un effet communicationnel. Une minorité s’accapare les richesses mondiales et là, au moins, rien n’a changé. Le problème serait de pouvoir revenir sur des bases plus "saines", et redonner au travail ses lettres de noblesse, et sa rentabilité. Salariés de tous les pays....
Jean Peyrelevade, "Le capitalisme total", 95 p, Editions du Seuil, 2005.