L’invention de soi. Une théorie de l’identité - Jean-Claude Kaufmann
Dans L’invention de soi, Jean-Claude Kaufmann n’invente pas un nouveau paradigme. Il fait presque mieux. Il retrace l’historique et propose une théorie de l’identité pour notre société en pleine mutation. Il fait du neuf avec du vieux en redonnant à ce concept passe-partout la rigueur et l’élan qu’il avait perdus. Il fabrique un instrument clé pour comprendre la modernité, une grille d’interprétation lumineuse pour un monde déboussolé où tout un chacun, seul ou avec d’autres, cherche sa voie, son idole, sa vérité, un absolu, un sens à la vie, un sens à la sienne, et son chat..., afin de combattre le nouveau mal du siècle, l’effondrement psychologique.
Bien sûr, on pourrait reprocher à l’auteur son empressement à faire de l’identité un principe universel d’explication du moi et du monde, la cause de toutes les dépressions individuelles, voire de toutes les guerres. Et la profession de foi véhémente en l’ONU et au multilatéralisme qu’il fait, en conclusion, pour briser les enfermements nationaux ou communautaristes mortifères paraît idéaliste. Même s’il avoue, dans un long post-scriptum sur la situation du monde actuel, que seule une nouvelle utopie, engendrée par la passion retrouvée de la raison et du savoir, pourrait nous sauver.
Quoi qu’il en soit, Kaufmann a le courage de défier les conventions et les barrières des sacro-saintes spécialités. Il ose s’aventurer à jeter de nombreuses passerelles entre l’histoire, la politique, la psychologie et la sociologie, tout en demeurant conscient des dangers du mélange des genres et des pièges de la subjectivité. Ce faisant, il choisit de prêcher par l’exemple en montrant, à travers l’élaboration souvent très personnelle de son propre discours, que «l’invention de soi» relève avant tout de l’audace et de la créativité et qu’il faut prendre des risques pour aménager un peu d’espoir dans un monde voué aux malheurs de l’autodestruction.
Voilà un beau livre, généreux, documenté, enraciné dans l’actualité, exigeant sans doute, mais essentiel, bourré d’observations, d’intuitions, de références, d’autoréférences à l’œuvre de l’auteur et d’exemples éclairants, qui propose, entre raison et passion, entre sociologie et psychologie, entre les faits et leur mise en théorie, un moyen efficace de réflexion et d’action au petit Ego désarçonné, au bord de l’épuisement: «Cet impossible personnage qu’on est. Quelle bêtise d’être soi-même. Quelle inévitable imposture, d’être qui que ce soit!» (1)
(1) Philip Roth, La bête qui meurt, Gallimard, coll. «Du monde entier», 2004, 144 p., p.70.