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entretien avec Asensio sur Maurice Dantec

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sur l'oeuvre de Maurice G. Dantec

 

"Oui, Dantec, au-delà des défauts évidents de certains de ses romans (je me suis suffisamment expliqué sur ce point concernant par exemple Villa Vortex, en attendant de lire Grande Jonction) est selon toute vraisemblance un auteur qui, dans quelques années, sera d’actualité, qu’importe même l’intérêt de ses œuvres à venir. Pourquoi cette assurance qui semblera à beaucoup bien téméraire ? Tout simplement parce qu’il tente de sonder les reins creux de notre monstrueuse modernité et que cette tentative le hisse tout de même à quelques larges coudées au-dessus de nos écrivaillons, davantage occupés par la description des volutes de leurs pets que par le destin de l’Occident. Dantec est un écrivain passionnant, monstrueux au sens que le génial Bergamín donnait à ce terme, parce qu’il est sur ses gardes, attentif, je ne le sais que trop, à bien des auteurs que nos ignares journalistes ne connaissent même pas.(...)"

 

 

Il est surtout cohérent, c’est-à-dire, une nouvelle fois, monstrueux, comme le sont, toutes proportions gardées bien sûr, ces immenses romanciers qui ont semblé se perdre dans les dédales de leurs œuvres : Kafka, Faulkner ou encore Joyce. Voyez donc : pour qui lisait Villa Vortex au moment de sa parution, il devait paraître évident que ce roman ne pouvait qu’annoncer la future conversion de son auteur au catholicisme, tant Dantec semblait tourner autour d’une Croix absente, pourtant présente en creux dans le roman, appelée par le romancier de toute sa chair à se matérialiser. Je dois vous dire que Villa Vortex a été ma toute première confrontation avec l’écriture de Dantec. Personne, bien sûr, n’a vu, en germe mais bien réelle, cette probable conversion ; personne apparemment n’a semblé apercevoir cette lettre volée qui, comme celle de Poe, était pourtant disposée sous le regard du premier venu. Ainsi, quelques mois seulement après la parution de ce roman boursouflé, chaotique, verbeux, maladroit et pourtant absolument remarquable dans certains de ses passages, Dantec a franchi le pas qui l’éloignait encore un peu plus de nos critiques qui ne sont vraiment pas obsédés par la question du divin, qui d’ailleurs ne semblent s’inquiéter d’aucune forme de questionnement… Comprenez-moi bien : je ne cherche pas à me décerner la couronne de lauriers déposée sur la tête du prince des critiques ni même à me donner, ridiculement, le premier prix attribué à quelque voyant de foire. Seule m’importe, dans ce cas, la cohérence manifeste tissée entre un romancier et son œuvre, dont les rhizomes continuent de s’étendre au moment même où je vous parle, puisque Dantec écrit beaucoup ces derniers mois, je vous l’apprends peut-être, pas seulement des romans d’ailleurs. Continuons. L’intelligence, toujours, est réactionnaire, en ce sens qu’elle dissipe les voiles bien-pensants derrière lesquels nos petits apôtres progressistes cachent l’horreur de notre monde vidé de spiritualité, qui a connu la fuite des dieux évoquée par Hölderlin et dans le même mouvement… gros de nouveaux dieux. Car, contrairement aux affirmations des imbéciles, les auteurs que nous pourrions, en schématisant allègrement, enrôler sous la bannière d’une tradition littéraire réactionnaire ne sont jamais ou presque jamais nostalgiques d’un mythique Éden, de toute façon inaccessible comme ils étaient les premiers à ne point l’ignorer. L’intérêt de leur questionnement est plutôt d’annoncer les nouveaux monstres, ces titans dont parlait Jünger, monstres, titans et démons qui ne sont pas notre avenir proche mais déjà : notre présent, notre proche passé même, tout entier issu du XXe siècle. Voyez ce qu’écrit, sur le réactionnaire authentique, ce diable de Nicolás Gómez Dávila : « Le réactionnaire n’est pas un nostalgique rêvant de passés abolis, mais celui qui traque des ombres sacrées sur les collines éternelles. » Nous pourrions finalement rapprocher l’écrivain authentique, c’est-à-dire réactionnaire, du prophète tel que Blanchot en analysait la mission : non pas tant essayer d’annoncer l’avenir que de dévoiler la face grimaçante de cet avenir sous les atours pailletés du présent. Muad’Dib est moins enserré dans les rets de l’avenir que dans ceux d’un présent qui consacrent l’échec de sa vision. Autre exemple, dans Cosmos Inc. Cette fois : avez-vous remarqué ce tropisme, on le dirait vivant, en tout cas animal, qui conduit la rutilante technologie, une fois commercialisée, à se dégrader irrémédiablement, la machine sénescente étant immédiatement remplacée par une nouvelle machine elle-même aussitôt frappée de progéria, cette rongeasse des romans de Dick, que nous pourrions encore appeler, comme le fait l’un des personnages du film Blade runner, le syndrome de Mathusalem ? Certes, le simple fait de citer Dick prouve à l’évidence que Dantec n’a rien inventé, lui qui, bien sûr, est un grand lecteur des romans de cet écrivain et de tant d’autres romanciers de science-fiction. Cependant, Dantec a pu se nourrir d’un auteur que Dick, sauf erreur de ma part, n’a pas lu : Günther Anders qui, sur cette question de la technique, de la Machine comme il l’appelle, a écrit des textes remarquables dont Dantec s’est apparemment souvenu. Qu’en fera-t-il dans Grande Jonction ? Développera-t-il cet aspect de sa critique de la modernité ou ce motif ne sera-t-il présent que sous la forme d’une commode métaphore un peu trop aisément exploitée ? Attendons de voir. Je pourrais faire une remarque voisine concernant la lecture des Pères de l’Église, dont le romancier a adapté certaines des intuitions les plus fulgurantes, par exemple relatives aux manifestations du divin ou aux descriptions (critiques on s’en doute) des doctrines gnostiques qui pullulaient à l’époque des Pères. C’est cette culture, cette curiosité, ce questionnement, totalement absents de l’esprit (et que dire de leurs œuvres ?) de bien de nos pitoyables écrivains, qui permet à un romancier tel que Dantec de porter un diagnostic sur l’homme malade, peut-être mourant, qu’est l’occidental dédouané de Dieu et avide de plaisirs qui rongent son esprit et son âme tout autant que son porte-monnaie. Bien sûr, à quelques réserves près tout de même qui concerneraient sa connaissance de la tradition chrétienne et le fait qu’il cherche à s’en nourrir (ou pas), je pourrais faire une analyse voisine à propos d’un autre écrivain fort intéressant, Michel Houellebecq dont le tout dernier roman, selon Angelo Rinaldi qui le déplore de toute la hauteur de son pédantisme de sphinx en contreplaqué de la critique, emprunte lui aussi les voies tortueuses d’une science-fiction qui est, d’abord, critique imparable de notre présent obsédé par la sphère du biopolitique.

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