Chronique du polar : En Petites Coupures , de Ed MCBAIN
Le jeune Lewis, fils de Carmine Ganucci, a disparu. Un beau matin, Nanny ne le trouve pas, ni dans sa chambre, ni dans le reste de la propriété. Les parents sont en Italie, et de toute façon mieux vaut ne pas prévenir le père, si l’on ne souhaite pas faire une baignade dans le canal. Nanny fait donc appel à un cinquième couteau pour l’aider, Benny Napkins.
En Petites Coupures — billets de cent, ou billets de un dollar, voire vingt-six cent cinquante — est un roman noir prétexte à une savoureuse galerie de portraits. Ed McBain s’attaque au charmant et désopilant monde de la pègre américaine des années soixante-dix, du plus haut de l’échelle au plus bas, en passant par les hommes de main et les avocats, sans oublier l’officier de police corrompu. Cela fait une joyeuse bande de mauvais sujets tous moins honnêtes que les autres — vendeurs de poupées ou joueurs de poker. Paradoxalement, le kidnappeur paraît être le plus innocent de tous les personnages épinglés par l’auteur.
McBain a écrit avec ce roman un texte loufoque. La narration suit tout d’abord les efforts de Benny Napkins pour réunir l’argent de la rançon, puis saute de personnages en personnages, souvent caricaturaux, souvent pitoyables, parfois dans des situations "daliennes". Ce pourrait n’être que distrayant, c’est jubilatoire.
« Il avait été si près, si près, de mettre la main sur l’argent de la rançon ! Si seulement la Mule n’avait pas été une telle mule. Mais évidemment comme c’était lui qui avait eu l’idée de rafler le pognon, il ne pouvait guère rendre responsable ce pauvre être, qui s’était contenté de suivre les instructions — sauf que le pauvre était un salaud parfaitement malhonnête qui avait sans doute décidé de tout garder pour lui. Enfin, nous commettons tous des erreurs songea Benny. Comme cette fois-là à Chicago… »
Parce que McBain dote ses personnages d’un passé d’erreurs — qui n’a jamais commis d’erreur ? — qui les rend magnanimes, et nous les rend sympathiques. Parce qu’il fait œuvre d’une narration rapide et enlevée aux dialogues absurdes — Nanny tentant de soutirer à Snitch, indicateur patenté, des informations, tandis que Snitch essaye de découvrir ce que sait Nanny, afin de vendre l’information au lieutenant Bozzaris. Parce qu'en dépit de la profusion des personnages, en dépit des situations qui sont autant de scènes, McBain ne perd le fil de son histoire à aucun moment et fait, une nouvelle fois, preuve d’une remarquable intelligence romanesque.
Si vous avez un peu le blues, En Petites Coupures est le roman idéal pour déclencher le sourire. Son immersion dans le monde de la pègre rappelle l’univers que Westlake a créé autour du cambrioleur Dortmunder. Mais, là où Westlake dépeint des voleurs malins mais malchanceux, McBain dresse le portrait au vitriol de malfrats pétris de bêtise mais chanceux. Dans le monde de la pègre d’Ed McBain, la bêtise est la chose la mieux partagée, les hommes sont rapaces, d’autant plus que les sommes sont modiques, les femmes ne connaissent que la position allongée.
La noirceur n’est pas dans l’intrigue ou les personnages, elle est dans le traitement romanesque de l’une et des autres.
En Petites Coupures , de Ed MCBAIN , Gallimard / Série Noire - Novembre 1971