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systar - Page 9

  • Prix Goncourt de Syngué Sabour de Atiq Rahimi

    En 2008 le prix Goncourt via été décerné à Atiq Rahimi, un récit hors du commun qui a su séduire par sa qualité et son originalité les lecteurs et le jury.

    Syngué sabour est la longue confession d’une femme. Une confession bien particulière puisque son mari est inconscient. Mais peu importe. Les mots s’enchainent à l’aide de phrases courtes, nominales et répétitives pour qu’enfin la magie de la "Pierre de patience" opère. Syngué sabour est un roman admirable et fort. Avec beaucoup d’audace Atiq Rahimi décrit, la réalité oppressante, au quotidien et plus précisément au quotidien féminin, d’une certaine conception de l’Islam. Un huis clos puissant pour un hymne à la liberté.

  • Avis sur Rue des mensonges de Joy Fielding

    La particularité de Joy Fielding, dans Rue des Mensonges, est qu’il n’y a pas d’intrigue. Nous suivons des personnages dans leurs déambulations et leur vie quotidienne.


    rue.JPGJoy Fielding peut nous faire lire deux pages de disputes conjugales ou de dialogue "bateau" entre copines. Je ne suis pas convaincu que cela apporte au roman autre chose que quelques pages en plus.
    Puisqu’il n’y a pas d’intrigue, il n’y a pas non plus de suspense. Du coup, les 320 pages de Rue des mensonges paraissent terriblement longues. Le lecteur est absolument passif.


    Mais, sans intrigue, il y a quand même un dénouement. Cette histoire n’aurait vraiment rimée à rien et n’aurait pas mérité une critique, s’il n’y avait pas eu de dénouement. Mais même ce dénouement nous laisse sur notre faim, tellement il y a de non-dit. Les bases de l’intrigue n’ont pas été posées et cela manque cruellement au roman, même une fois terminé.

    Le style est assez neutre, plutôt sirupeux et à mon avis soporifique. Rue des mensonges se lit sans grand besoin de concentration, il est idéal pour les transports en commun ou pour une lecture sur la plage.
    Mais comme l’histoire racontée n’est pas particulièrement guillerette, ne comptez pas sur lui pour vous donner la pèche pour la journée.

    Rue des mensonges, Joy Fielding (Roman

    )Best-sellers / robert Laffont

  • Avis sur le livre : Petit miracle de Barbara Kingsolver

    Barbara Kingsolver a écrit des romans qui font d'elle une des mes écrivains préférés ("L'arbre aux haricots", "les cochons aux paradis", entre autre, et le très beau "Les yeux dans les arbres", par exemple...) mais c'est la citoyenne, lucide, honnète et engagée, que j'admire le plus en elle.

    miracles.JPGBiologiste de formation, et profondément écologiste, Barbara Kingsolver a une idée très claire des conséquences dans le monde de la politique de consommation aveugle et sourde du gouvernement américain. Ce pays, qui représente 5% de la population mondiale, consomme 1/4 de l'énergie mondiale. Nous faisons nous-mêmes partie des 20% de privilégiés qui utilisons près de 70% des ressources de la planète, et générons 75% de ses déchets.

    Barbara Kingsovler dénonce ici le fait que sa citoyenneté la rende complice d'une politique qu'elle réprouve, qui pousse les dirigeants de son pays à organiser leur économie autour de la consommation du pétrole en soutenant ainsi des régimes totalitaires, mais qui parallèlement refusent de ratifier le protocole de Kyoto qui limite les émissions de gaz à effet de serre.

    Mais elle nous rappelle aussi que s'il en va de la responsabilité des états, le simple citoyen n'est pas sans moyen d'action quant à l'état du monde... et que notre manière de consommer peut être en soi un acte politique: si nous acceptions par exemple de ne jamais manger un aliment qui apporte moins d'énergie que son transport en a coûté, nous réduirions considérablement la consommation de pétrole (et donc en hiver, on mange du chou-fleur et pas des fraises.)

     

    Je conçois que cela puisse paraitre aux premiers abords rébarbatif et donneur de leçons et pourtant, ces jolis textes ne le sont pas. Il y est certes question de jardinage ou de plants génétiquement modifiés, mais pas seulement... il y est aussi question du respect de l'autre, de l'amour de la vie, de ce que ce fut que d'être une étudiante américaine dans les années 70, et de comment élever ses enfants dans ce pays quand on préfère éviter le coca et la télévision... On y trouve une magnifique lettre ouverte à sa fille de 13 ans, et une autre non moins belle à sa mère. On y fait la rencontre d' une femme courageuse qui tente de vivre au plus proche de ses idées, et qui continue d'aimer le pays dans lequel elle est née, une femme qui ne perd pas confiance en "ce qu'il est possible d'attendre de l'esprit humain", une femme qui  a écrit ceci:

  • La troisième dépossession

    commentaires sur  le texte de Colin

     

    C'est un texte d'auteur, ce qu'il appelle « lâcher prise », comme geste esthétique, est donc l'explication de sa propre démarche d'auteur, modulée par le fait qu'il est aussi (voyez son blog et ses contributions de critique à Fluctuat) un grand lecteur. Premier aveu de taille, donc : alors que c'est un lecteur rapide, compulsif, et avisé, il ne lit pas de SF pure et dure (comprenez, pour aujourd'hui : Wilson, Egan). La conclusion de l'article est sans appel, en ce sens : « À l'occasion, il faut quitter pour exister, se jeter à l'eau pour comprendre qu'on sait nager. Sans la SF, je ne serais pas là aujourd'hui. Avec la SF, je n'irai jamais très loin ailleurs. » La thèse de Fabrice Colin se développe ainsi : la SF est seulement un laboratoire, et l'occasion d'entrer dans le Jeu. A ce titre, elle perd son statut de fin en soi, en termes littéraires, et n'est plus que la méthode, la disposition d'esprit, qui peut préparer un auteur à se trouver lui-même, la maturité narrative, stylistique, esthétique, venant de livre en livre. La SF n'a plus d'autonomie (ou, à tout le moins, des auteurs comme Colin ne doivent plus lui en donner ou lui en reconnaître une), elle n'est qu'apéritive, préparatoire. Propédeutique à la vraie littérature, celle qui vient. La SF souffre donc du syndrome de Jean-Baptiste : elle annonce quelque chose de plus grand qu'elle-même. Mais la thèse de Fabrice Colin peut, à mon sens, être expliquée, ou prolongée, et ce, justement, en reprenant cette idée d'un « lâcher prise ». Lâcher prise, se laisser porter, envahir, plutôt que lâcher prise au sens d'abandonner le combat rhétorique entre pro-SF et anti-SF sur les forums. L'expérience littéraire clé qu'à mon sens Colin vise, c'est la submersion, ou l'immersion totale, la déprise de soi, ou encore ce que je nommerai, en hommage à Ursula Le Guin, la « troisième dépossession ». Expliquons un peu les choses, nous allons voir que les idées s'enchaînent naturellement en la matière. Dans Les Dépossédés, Ursula Le Guin expose les deux formes de dépossession économico-politique de soi que l'individu doit subir à notre époque : celle de l'individualisme égoïste anti-égalitariste forcené (bref : l'individu coupé du milieu et de la genèse qui l'ont formé), et celle du collectivisme dirigiste furieusement égalitaire (le milieu purgé de toute individualité résiduelle). Dépris d'eux-mêmes, privés d'eux-mêmes, de leur couple et de leurs enfants, les personnages du roman de Le Guin en viennent à rechercher, selon les mots explicitement proférés dans le roman, la « chance » et la « grâce », bref, ce qui les sauverait d'une telle dépossession. Or le geste esthétique de Le Guin, et il est le même que celui de Thomas Pynchon par exemple, consiste à proposer au lecteur l'horizon d'une autre forme de dépossession, d'abandon serein à autre que soi, sans se perdre soi. Les mystiques chrétiens ont nommé cela Gelassenheit : abandon serein et exultant à la vie même, à un milieu qui nous excède, qui nous submerge. Cette expérience est une dépossession, en ce qu'on y est emporté, c'est une dépossession non plus économico-politique, mais esthétique. Elle consiste à reconnaître, en le vivant, en l'expérimentant au plus profond de soi, que l'on n'existe comme individu que lié à un milieu primordial, immense, océanique, qu'on n'existe que porté et poussé dans le dos par les grandes vagues de la vie. La mise en scène de la disparition de l'homme, dans L'arc-en-ciel de la gravité, les luttes effrénées de Jack Flash contre toute forme de pouvoir dans Velum et Encre de Hal Duncan, tout cela commence par la reconnaissance d'un fond primordial d'être immense (le Velum, justement, mais aussi Londres, l'Afrique noire, et tant d'autres lieux dans le livre de Pynchon), présupposent ce fond premier d'être, et de vitalité[1]. Nous venons de plus loin que nous-mêmes, et l'avoir oublié est ce qui rend nécessaire la dépossession esthétique, la reconnaissance que nous ne saurions à nous seuls, nous suffire à nous-mêmes. Geste d'humilité, d'humiliation, et geste que Fabrice Colin avait su accomplir en parlant, avec La Route de McCarthy, de mise en scène d'un « immémorial ». Ce faisant, Colin se rapproche à mon sens de la théorie de l'individu développée par Michel Henry dans ses essais et son roman L'amour les yeux fermés : l'individu n'existe que provenant d'un fond qui le précède, et articulé à ce fond, dont il se coupe illusoirement[2]. Colin n'en reprendra sans doute pas l'argumentaire chrétien, mais il retrouve, à mon sens, cette expérience, et c'est là ce qui est significatif.
  • Les tours de Samarante, de Norbert Merjagnan - 1 - L'esprit et le messianique

    tours.JPGLe premier roman de Norbert Merjagnan, Les tours de Samarante, est un bijou, disons-le d’emblée. Après avoir été, un temps, rebuté par le glossaire de fin de livre – encore un de ces faux créateurs qui pense remplacer des idées absentes par des néologismes creux…

     

     

    Nous tenons là un vrai metteur en scène, un narrateur généreux et inspiré dont la prose rappellera la trilogie des Guerriers du silence de Bordage, ou celle des Noctivores de Beauverger. Il y a des rapprochements moins flatteurs, on en conviendra. Mais c’est un fait : Merjagnan manifeste la même violence, la même facilité à donner dans l’hypotypose marquante, la même générosité dans les péripéties, et la même faculté, enfin, à inventer des mystiques et des motifs messianiques, que les conteurs à l’instant cités. C’est une science-fiction généreuse qui est alors donnée à lire, intégralement soucieuse de produire un monde cohérent, foisonnant, et transitive, c’est-à-dire non autoréférentielle. On y parle finalement moins de la condition humaine – objet d’étude qu’à juste titre on réservera aux classes de philosophie de terminale, lieux par excellence de l’apprentissage d’une pensée de l’acceptable (et seulement de celui-ci) – que d’une inhumaine condition, de tout ce qui emporte l’homme au-delà de lui-même : l’idée (qui pourrait bien être la seule matière réelle, on le verra), l’intelligence collective, la dépersonnalisation/désindividuation, la violence pure, le sacrifice de l’enfant, la quête de l’origine matricielle, de la mère, la reconnaissance du rôle métropolitique de toute ville, véritable mère des enfants qu’elle abrite… Merjagnan est un nouveau grand auteur de science-fiction (ou d’imaginaire, si l’on veut utiliser un vocable plus large, tenant compte de la part plus réellement magique que scientifique de certaines péripéties de son livre), parce que son livre est un livre de science-fiction au sens fort : son livre pense. D’une façon parfois inchoative, encore mystérieuse, floue, peut-être trop intuitive et pas assez consciente par moments, certes, mais peu importe : on comprend certaines choses, et ce qui n’a pas encore été pensé le sera sans doute dans la suite que l’auteur devrait donner prochainement de ce roman, dont la fin ouverte appelle quelques explications et la mise en scène d’une effroyable guerre dans la ville magnifique de Samarante. Un mot de l’intrigue : de la grande ville aux six tours gigantesques, Samarante, un grand guerrier, Oshagan, a jadis été banni. Equipé d’armes climatiques millénaires, il revient y accomplir sa vengeance. Pendant ce temps, une jeune femme fabriquée de toutes pièces pour être hyper-sensible aux caractères des humains et pressentir les comportements se retrouve aux prises avec la mystérieuse organisation policière de Samarante ; un jeune garçon des bas-fonds de Samarante, Triple A, ne rêve que de défier le pouvoir et d’escalader les tours de la ville, ce qu’il ne tarde pas à payer de son corps charnel et de son individualité… Le récit orchestre la convergence de ces trois destins exceptionnels… La plume de Merjagnan présente d’impressionnantes capacités à varier le rythme, les effets de suggestion visuels et sonores ; posons peut-être un léger bémol sur certains rares passages trop secs, trop paratactiques, et semblant trop immédiats dans leur écriture, qui jurent avec la tonalité globale du récit. Notre goût personnel nous pousse néanmoins à nous réjouir de l’apparition récente d’une telle écriture, par conséquent, qui ne craint pas d’en faire trop, et peut donner à la phrase française de science-fiction contemporaine l’occasion de se renouveler non par l’option du minimalisme, mais bien par celle de l’enrichissement sonore, du rythme ample et assumé. Après ces quelques jugements de valeur portés sur la qualité esthétique du roman de Merjagnan, je voudrais maintenant relever, sans les redistribuer dans l’ordre contraignant d’une démonstration systématique, quelques éléments présents dans le livre, montrant précisément comment ce livre, par sa densité – après tout, nous avons un monde, et pléthore de péripéties, en moins de 300 pages, ce qui relève tout de même du tour de force – et son inspiration, pense. Ou comment l’expérience de la lecture n’est rien d’autre ni de moins que l’expérience de ce moment de joie où l’idée nous vient « à l’idée », justement… « Les Tours n’ont rien à voir avec le reste de la ville. Leurs créateurs n’ont rien à voir avec le reste des hommes. Elles ne sont pas faites de pierre ou de métal comme le sont tous les autres bâtiments qui les entourent. Il lui vient à l’esprit qu’elles sont faites de l’idée de la pierre, de l’idée du métal et que rien, jamais, ne pourra atteindre la perfection de cette matière. » (pp.32-33) Hyper-platonisme, ici, où l’idée ne se distribue même plus en une multitude de réalités sensibles dont elle demeure le principe unitaire et le dénominateur commun. L’idée devient la matière elle-même, elle n’est rien d’autre. Les tours de Samarante sont le lieu où est tentée une fusion totale de l’idée et du matériau brut, sans qu’on en passe par l’information aristotélicienne (coopération d’une matière et d’une forme), ou par la distribution de la forme intelligible en réalités sensibles. Cela débouchera sur l’idée d’une matière pensante, dans le fil du roman. Il ne sera alors pas étonnant que l’on rencontre des descriptions où Samarante est redécrite comme chair, apparition d’une matière vivante qui n’est pas image, mais déjà la totalité de ce qu’elle a à montrer. On notera également l’élégance de la solution apportée au problème de l’union du sensible et de l’intelligible : non pas postulat d’un monde intermédiaire, imaginal, qui hypostasie le problème sans forcément le résoudre, mais compréhension du réel comme chair, matière animée, matière vitale, et donc pensante, et auto-suffisante.
  • pour une definition du style dans l'imaginaire : la Horde du Contrevent

    Pour une définition du "style" dans l'imaginaire: lecture de La Horde du Contrevent, d'Alain Damasio.

    damasio.JPG

     

     

    En science-fiction, il semble y avoir une croix particulièrement lourde à porter pour les auteurs, les critiques et les lecteurs : il s’agit de la question du style. Le plus souvent non défini, sa théorisation parfois même tout simplement laissée vacante, ou lettre morte, le style est pourtant une question fondamentale, quand bien même la plupart des lecteurs, cherchant l’effet de monde (déjà hâtivement évoqué dans mon texte sur La route de Dune), que je définirai comme la sensation d’immersion dans un monde que l’on contribue pourtant à mettre en place au fil de la lecture, chercheront tout simplement à oublier jusqu’au fait qu’ils lisent. Là s’origine l’argument assez largement insuffisant, sans être toutefois radicalement faux, selon lequel le livre conserverait toujours sur le film l’avantage de pouvoir mettre en scène des mondes bien plus complexes et des réalités bien plus titanesques que tout ce qu’un plan de cinéma pourra jamais montrer, et que cela maintiendrait et définirait l’utilité intrinsèque du livre, alors même que celui-ci ne serait plus lu pour que l’on jouisse de la beauté de sa langue ou bien qu’on apprécie toujours plus consciemment l’élégance d’une construction narrative. Sans doute pour aborder avec un tant soit peu de pertinence et de précision cette question de style faut-il mettre en place une circulation toujours plus affinée entre la définition technique générale, globale, et les exemples de passages particulièrement marquants où, selon moi, « il y a style ».Je serai alors confronté, comme si j’étais face à un phénomène politique qu’il s’agirait de penser, à la gageure de concilier l’universel le plus souple, le plus accueillant, et l’identitaire le plus fort, le plus affirmé. C'est pourquoi j’adopterai pour exemple à vocation révélatrice un extrait de l’un des livres les plus forts et les plus singuliers en termes d’identité stylistique que les littératures de l’imaginaire ont produits : La Horde du Contrevent, d’Alain Damasio. Avant de proposer une première esquisse de définition du style, et un long exemple, il ne me semble pas inutile de rappeler ce qu’aujourd’hui le livre de Damasio représente dans le milieu de la science-fiction. Il serait vain de prétendre que c'est avec La Horde qu’enfin l’imaginaire a acquis ses lettres de noblesse en termes d’écriture. Il serait vain d’y voir une narration totalement inédite, un concept narratif parfaitement nouveau (une quête collective allant au bout d’elle-même, en quête de l’assouvissement d’un désir de sens, le désir devenant, au fil de la quête, son propre objet, et les sources d’un tissage de liens indéchirables entre les personnages), ou même l’expression d’une philosophie radicalement originale. Et ce au nom d’au moins deux types d’arguments, l’un de droit, et l’autre de fait : tout d’abord parce que la science-fiction, historiquement, a compté de nombreuses belles plumes (je pense à Curval, je pense à Christian Charrière que je m’apprête à lire ces jours-ci, et dont les premières pages de La Forêt d’Iscambe me laissent béat d’admiration… et à tant d’autres dont le nom me reviendrait tôt ou tard), a déjà raconté de très belles quêtes, et parce que sur le plan philosophique , de l’aveu de Damasio lui-même, La Horde intègre, quoique de manière explosive et parfois aporétique, le sens de la fluidité temporelle et l’intuition de Bergson, les thématiques nietzschéennes de l’affirmation joyeuse des forces de vie jusqu’à l’avènement d’un surhomme, et celles de la multiplicité et des devenirs chères à Deleuze ; ensuite – c'est là l’argument de droit – la science-fiction, ou plutôt l’imaginaire, ne fonctionne pas comme la quête d’une histoire radicalement inouïe (sans doute parce que de l’inouï radical se révélerait sans doute, à bien y réfléchir, parfaitement inaudible…), et encore moins comme le vecteur velouté et rendu artificiellement agréable d’un message politique ou d’une pensée qui gagnerait bien plus de rigueur et d’ampleur à se loger dans les contours certes moins enthousiasmants, mais bien plus sérieux, de l’essai philosophique. Ce qu’il faut néanmoins mesurer avec ce livre, c'est l’événement qu’il a occasionné. Non pas des ventes de best-seller (Werber, Aubenque et Dantec restent sans doute bien plus achetés que Damasio), mais le fait qu’un plaisir de lecture et qu’une émotion très singuliers et assez raffinés se soient communiqués de lecteur en lecteur comme par une lente mais sûre contamination, le livre s’écoulant de chaudes recommandations en cadeaux, et que ce plaisir, cette émotion, tiennent à la manière dont Damasio a employé la langue. J’en viens alors à la nouveauté propre à Damasio, celle qui a porté le livre et le porte encore : il s’agit de la manière dont la langue a été employée comme étant la totalité des moyens sonores, phonétiques, permettant de susciter une sensation dans le corps du lecteur, et de faire jaillir une multitude de significations plus ou moins latentes, que bien des lecteurs ont ressenties sans toutefois parvenir à les verbaliser. « Puissance », « souffle », « énergie », tels sont les mots qui ont jalonné les critiques positives du livre, en presse papier ou internet, ou encore sur les blogs. Tous ces mots traduisent imparfaitement le jeu de relations qui se tisse dans le corps du lecteur entre la chair du lecteur, son oreille et son œil seconds (ceux que l’audition silencieuse des mots d’un livre et l’effet de monde sollicitent), la teneur de sens des phrases du livre, et la teneur sonore de chaque lettre employée. Je touche alors, tout simplement, à ce qu’il me semble pertinent d’appeler style, justement : non pas une qualité qui ne serait que de l’auteur, ni du texte et de rien d’autre, mais bien ce jeu, ce tissu de relations multiples entre mots du texte, corps et esprit du lecteur. Comment identifie-t-on un style ? Au type d’événement que le livre fait survenir chez le lecteur. Y a-t-il alors toujours style, dans ces conditions ? Oui et non : tout tient à la qualité de l’événement engendré… Les larmes, ou l’émotion recueillie et bouleversée que La Horde a pu arracher à bien des lecteurs me semblent receler une noblesse d’âme que jamais la larme de midinette n’égalera. Où l’on voit que, lors même que l’on tente d’introduire, en vue d’une description de l’acte de lecture, une part de subjectivité dans la définition du « style », on demeure dépendant d’une hiérarchisation minimale des choses et des événements à partir de laquelle seulement l’art devient possible…